Hommage à l' indien par Michel Trouillet

On l'appelle l'Indien : question de look, de philosophie, de comportement... allez savoir ? ...

Moi je l'aurais bien appelé Aigle noir ou Tonnerre du ciel, tant son tempérament était contrasté, entre révolte et amitié, entre talent et liberté.
Lui l'Indien qui portait un chat noir sur l'épaule et qui l'aurait bien fait voler (le chat) si ce dernier en avait manifesté le souhait est certainement le personnage le plus contaminant de la belle Provence et qui a illuminé de son amitié et de son talent cerf-voliste toutes les rencontres du sud depuis 25 années.

Capable de tout dépanner et de tout transformer , Yves l'indien ,  alias Yves Clément, savait inventer, coudre, assembler, régler, perfectionner les cerfs-volants les plus nobles : du wasseige au plano, du Rokkaku au Cody, du parafoil au flowform géant...

Par une chaude après midi de juillet sur le plateau surplombant Manosque, Yves avait solidement accroché son dernier Sacconey ,de plus de 3m d'envergure, à un vieux cadre de moto rouillé abandonné dans un buisson d'épineux occupé à digérer cette indélicatesse écologique.

Un joli vent d'Est régulier et que Yves appelait son vent de cinéma, avait emporté à 300 m du sol sa dernière création. Yves, en regardant le travail de ses mains, suspendu dans un bleu presque lavande  dans une immobilité parfaite, méditait aux plaisirs simples du créateur face à sa création. Philosophie indienne peut-être, philosophie simplement humaine  , certainement, celle qui nous fait prendre du recul par rapport à ce que nous avons accompli de bien. Yves est quelqu'un de bien , comme le dit la chanson et il a du souvent connaitre ces instants de grâce.

Aujourd'hui , comme à chacun de ses envols,  Yves a rendez vous avec le rapace  de cet espace aérien qu'il vient de squatter . Comme les indiens  Yves sait qu'il n'est dans ce ciel et sur cette terre qu'invité et qu'il doit composer avec respect avec son hôte "l'aigle, le faucon ou le gypaète".
 La journée estivale est chaude et voluptueuse  surtout après le Pastis et le pique nique partagés avec sa compagne. Mais on est dans le sud et ont sait écouter les cycles circadiens ce que notre Indien appelle tout simplement: la sieste. Le farniente s'est un peu éternisé et l'après midi s'est avancée avec un nouvel invité de marque "Monsieur Mistral".

Le cerf-volant est presque à la verticale du squelette de la moto et tire puissamment sur la corde de retenue... un craquement... Yves ouvre un œil au moment précis ou une masse sombre s'envole dans l'azur. Le cadre de moto et le buisson se sont envolés. Quand je vous dit que Yves Clément est capable de tout faire voler.

Yves saute sur sa monture, ses santiag,  et part en courant derrière l'incroyable attelage. On pourrait encore croire à une histoire Marseillaise ou provençale mais ce mauvais procès on le garde ici pour les parisiens, car cette histoire est une vérité aussi vraie que les cigales  parlent à Edmond Pierrazzi, un autre cerf-voliste renommé contaminé , lui aussi, par le galopant indien à la poursuite d'un cerf-volant.
Imaginez la scène : un homme au teint mat à demi nu courant et sautant dans une garrigue brûlée de soleil à la poursuite d'un buisson et d'une ruine de moto suspendus entre ciel et terre. Yves jure par tous les manitous de Provence et d'ailleurs car il vient de comprendre que le cerf-volant fou l'entraine vers les 3 traits menaçants d'une ligne électrique de 150 000 volts. Impuissant il assiste à un événement extraordinaire. La ligne du cerf-volant en croisant le câble électrique entraine dans les airs et dans un mouvement de balancier son attelage de vieilles ferrailles. Le balancement est si violent que le cadre de moto s'accroche, tel un harpon, sur la seconde ligne haute tension à plus de 30m du sol.

Impuissant Yves regarde son cerf-volant, d'une stabilité insolente, tirer de plus en plus fort sur sa corde qui rapproche dangereusement deux des lignes électriques. Un curieux grésillement se fait bientôt entendre qui n'a rien à voir avec le chant des cigales. La moto glisse inexorablement vers le pylône d'acier. Un premier claquement comme un coup de feu... un second claquement plus fort encore... puis un arc fulgurant comme un éclair en plein jour. Le buisson s'embrase instantanément et la moto à demi fondue s'encastre dans le pylône à mi hauteur.
Yves est muet et  pétrifié en regardant le buisson ardent finir de se consumer à plus de 10m du sol...Yves pense peut être qu'une telle apparition est capable de créer une autre légende. Il n'attend pas que le manitou des indiens s'adresse à lui et part en courant vers son cerf-volant qui est entrain de tomber à plus d'un km de là.

En redescendant du plateau, Yves traverse un village fantôme. Le soir tombe la fête foraine de ce beau dimanche est arrêtée... plus de courant.... comme c'est bizarre !
Le lendemain un hélicoptère survolera en stationnaire le pylône N° 228 M (comme Manosque), le technicien ERDF dans son rapport marquera qu'une masse de ferraille calcinée et fondue d'une provenance inconnue est suspectée d'être la cause d'un incident de coupure d'alimentation haute tension.
Il n'y aura pas d'enquête de police car plus personne ne croit ici aux OVNIS. Le dossier sera classé X Files.

Il y a prescription , aujoud'hui, pour cette histoire qui restera provençale et qui fait partie  de notre éternité,  celle du long parcours millénaire  et planétaire du cerf-volant. Yves l'indien nous a donné mille et une histoires à rêver et à aimer, il est là , bien vivant, dans nos mémoires et dans notre cœur à l'instant où ce 2 avril 2011, lui,  Yves l INDIEN a décidé de partir voler en compagnie des aigles.


Photo de 1992 d' Yves, alias l' Indien
 

MT

 

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